JO, TOURISME ET ESCAPE GAMES : BIENVENUE DANS LA "SOCIéTé DE L’EXPéRIENCE", NOUVELLE PHASE DU CAPITALISME

Quel est le point commun entre Netflix, Airbnb, les escape games, le football, les bières artisanales, les croisières, les coffee shops ou encore les jeux vidéo ? Pour le sociologue Steven Miles, professeur à Manchester, ils nous proposent tous de vivre une « expérience ». Dans La société de l’expérience, récemment traduit en français, celui qui est également rédacteur en chef du Journal of Consumer Culture explique comment le capitalisme s’est renouvelé en nous proposant de vivre des choses authentiques et de « se créer » des souvenirs, plutôt que d’accumuler des objets.

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Les jeux Olympiques, qui démarrent en ce moment, à Paris, relèvent bel et bien de cette logique, en promettant à la fois aux spectateurs de vivre, à chaque épreuve, une expérience intense et unique, sans oublier la cérémonie d’ouverture, celle de clôture et les nombreux concerts qui s’organisent en marge de la compétition. Pour Steven Miles, le sport est même devenu « l’incarnation spectaculaire de la société de l’expérience ». La société de l’expérience serait en somme une société de consommation qui prendrait en charge tous les aspects, ou presque, de notre vie, tout en nous racontant que nous sommes maîtres de nous-mêmes.

Expériences et identité

Dans cette configuration, « le consommateur n’est plus un simple sujet passif, il joue un rôle déterminant dans son expérience de consommation », souligne l’auteur. Il est appelé à choisir son destin, à reprendre le contrôle sur sa vie et à se définir lui-même. Pour le sociologue, le consumérisme est le résultat d’un désir croissant de s’affranchir des attaches communautaires, afin d’affirmer son individualité. Consommer ou vivre des expériences intenses, authentiques et originales est une manière pour l’individu de se construire, ainsi que de se doter d’une identité personnelle comme collective. Par exemple, devenir supporter d’un club de football, aller régulièrement au stade pour voir jouer son équipe, c’est intégrer une communauté d’expérience mais aussi se définir.

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Personnalisables et multipliables, « les expériences s’adaptent (...) mieux à l’identité individuelle que les produits de consommation proprement dits, dans la mesure où elles sont plus à même d’offrir de la valeur ajoutée à nos vies ». C’est ainsi que, pour Steven Miles, « nous avons créé de toutes pièces notre Truman Show, où la seule chose qui compte est notre petite personne », c’est-à-dire « un environnement où tout est orienté vers soi ».

Alors que le plaisir retiré par la consommation d’objets s’avère souvent trop éphémère, les expériences, elles, permettent une forme d’évasion, qui semble libératrice. Mais, le sociologue avertit qu'« un tel processus enchaîne toujours plus l’individu au système auquel il essaie justement d’échapper. Le résultat, c’est que nous devenons des touristes de l’identité, dans la mesure où les plaisirs de l’expérience (…) deviennent des fins en soi. Nous ne nous définissons plus à partir de nous-mêmes, mais à partir de la nature de nos expériences. » C’en est au point que, selon lui, « les valeurs du marché et de la propriété privée sont devenues tellement absolues que la démocratie s’en trouve résumée à la capacité de chacun à consommer ce qu’il souhaite ».

L'expérience du travail

L’universitaire met néanmoins en garde contre une illusion répandue : nous ne sommes pas pour autant entrés dans une « société de loisir ». Selon lui, « l’expérience du travail » reste centrale. Alors que nous avons de moins en moins le sentiment de contrôler nos existences, qui s’accélèrent et deviennent de plus en plus instables, le travail est « un des rares endroits où nous gardons le sentiment d’avoir de la valeur en tant qu’individus ». Nous attendons de plus en plus que nos emplois nous apportent un certain réconfort et une certaine reconnaissance.

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« Le lieu de travail a été réinventé (…) afin d’en faire un lieu d’exploration personnelle. Mais une telle exploration ne fait que renforcer la capacité du capitalisme à s’attirer la complicité de l’employé. » En s’individualisant, le travail a « renforcé les règles du capitalisme qui permettent de diviser les travailleurs et de régner sur eux. » Est-ce que cela signifie que par le biais de « la société de l’expérience », le capitalisme est devenu un monde totalitaire, duquel il est impossible ou presque de s’échapper ?

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Steven Miles, La société de l'expérience. Le consumérisme réinventé, traduit de l’anglais par Galaad Wilgos, l'Échappée, 256 pages, 20 €.

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