COMMENT LA FRANCE EST DEVENUE LA PREMIèRE DESTINATION NATURISTE AU MONDE

Avec 4,7 millions de personnes qui pratiquent régulièrement le naturisme en France, dont 2,6 millions d'étrangers, l'Hexagone s'est imposé comme la première destination naturiste sur la carte du monde, selon la Fédération française de naturisme (FFN). Ce mode de vie qui prône un retour à la nature, au végétarisme et à la nudité est d'ailleurs le sujet de l'exposition «Paradis naturistes», visible jusqu'au 9 décembre 2024 au Mucem à Marseille. Bernard Andrieu, l'un des commissaires de l'exposition, philosophe et auteur de Nudités – Philosophie des naturismes, nous raconte comment la France a acquis cette première place mondiale, au gré des évolutions sociales et politiques.

Avant de devenir populaire et accessible à tous, le naturisme émerge au tournant des années 1920, derrière les murs du manoir Jan au sein du Sparta-Club, puis sur l'île de Platais, dans les Yvelines (Île-de-France), où s'implante la communauté hygiéniste Physiopolis. Dans des cercles plutôt bourgeois et élitistes, donc. «On manque de représentations mais avant ces premières communautés, la nudité était assez codée et existait surtout dans des espaces privés. On retrouve la nudité associée à l'idée de pleine nature dans des textes de Rousseau ou de Chateaubriand», retrace Bernard Andrieu.

En 1936, le naturisme bénéficie d'un coup de pub grâce à une nouveauté en France: les deux premières semaines de congés payés. Les Français entrent doucement dans la «civilisation des vacances», jusqu'à leur massification dans les années 50, poussée par les Trente Glorieuses. Le naturisme, qui promet des vacances peu coûteuses placées sous le signe de la liberté, se démocratise.

L'implantation des communautés naturistes

En haute saison, les campings et clubs naturistes attirent également des touristes étrangers, «principalement venus d'Allemagne ou des Pays-Bas et souvent en famille ou en communauté», détaille Bernard Andrieu. Il faut dire que la France a plusieurs atouts, à commencer par un climat tempéré, un océan et trois mers qui la bordent. «Quand vous faites du naturisme au nord de l'Allemagne sur la mer du Nord, le climat n'est pas tout à fait le même. Les gens viennent en France pour la Méditerranée, l'arc Atlantique et le soleil, auquel on s'expose pour un tas de bienfaits: le bronzage, le plein air, le mode de vie communautaire, le camping…», énumère le philosophe.

Tout doucement, les infrastructures destinées aux naturistes se multiplient. Le centre héliomarin de Montalivet (Nouvelle-Aquitaine) ouvre ses portes en 1949 et en 1954, deux frères viticulteurs ouvrent un camping naturiste à Agde (Occitanie). Dès 1950, la FFN rassemble les associations, clubs et hébergements agréés, et œuvre au développement de la pratique dans l'Hexagone. Cinq ans plus tard, on ne compte plus neuf associations adhérentes, mais quatre-vingt-six.

Mais dans une France religieuse plutôt pudique dans l'espace public, le naturisme pose question, d'un point de vue légal. La simple nudité peut effectivement être qualifiée «d'outrage public à la pudeur». En 1994, un nouveau code pénal remplace le délit d'attentat à la pudeur par celui d'exhibition sexuelle et permet le naturisme dans les zones autorisées. À l'instar du bois de Vincennes (Paris), le naturisme se vit dans des espaces réservés, encadrés et autorisés par les municipalités.

«Cette loi a permis le développement de la pratique, autrement elle était condamnée. Elle a donné lieu à la labellisation d'un certain nombre de campings ruraux, de lieux publics, de piscines où se baigner nu. On peut aussi désormais visiter des musées nu, et des expériences sont actuellement menées sur les boîtes de nuit où danser nu», raconte Bernard Andrieu. La même année, le naturisme est défini à l'international comme «une manière de vivre en harmonie avec la nature, caractérisée par une pratique de la nudité en commun qui a pour but de favoriser le respect de soi-même, le respect des autres et celui de l'environnement».

Face aux tentes, les mobil-homes

Plus de cent ans après la naissance des premières communautés naturistes, la FFN regroupe quelque 200 clubs, campings, centres de vacances et espaces naturistes, tandis que l'offre touristique évolue en suivant les opportunités économiques d'un marché qui ne faiblit pas. «On parle aujourd'hui d'un capitalisme naturiste qui se met en place, parce que des fonds de pension rachètent les grands clubs pour en faire un tourisme où les vieilles tentes sont remplacées par des mobil-homes.» Le but? Attirer une clientèle plus aisée, capable de dépenser 1.500 euros pour une semaine.

En réaction à cette évolution orientée vers le profit et le consumérisme, les partisans d'un naturisme économique et proche de la terre se tournent vers les zones rurales. Selon Bernard Andrieu, le Covid-19, avec ses confinements à répétition, n'est d'ailleurs pas étranger «à la redécouverte de la valeur de la campagne» qui a participé au renouveau actuel de la pratique.

«Il existe toujours le désir très ancré d'une pratique populaire, en contact avec la nature, poursuit le spécialiste. Cela a renouvelé les pionniers que l'on présente dans l'exposition et qui ont inventé une communauté végétarienne et proche de la terre. Les gens aspirent à vivre autrement, à emprunter des chemins communautaires et durables, loin de la forte urbanisation.» Une autre manière de vivre ensemble, au moins le temps de parenthèses ensoleillées.

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