QUAND L’ITALIE JOUE AVEC LES PAPARAZZIS, LA DANSE ET LES WINDSOR

Au Pitti Uomo, on ne vient pas que pour ausculter la santé du secteur, que d'aucuns ont jugé un peu chancelante ? alors même que visiteurs et exposants étaient bien au rendez-vous à Florence. On y vient aussi car c'est une sorte d'aperitivo de la saison, avec un soin particulier accordé aux créateurs invités qui sont souvent l'avenir du secteur ? comme cette année Satoshi Kuwata. Et puis à Milan, derrière les super-productions des géants de Prada à Dolce & Gabbana, on traque des moments de grâce suspendue comme la présentation dansée de Brioni, et on reconnaît un Windsor oublié.

Une rencontre intime à Florence

Satoshi Kuwata saluant à l'issue de son défilé pour sa marque Setchu lors du Pitti Uomo. © GD

Parfois, la mode est giscardienne, version « en France, on a pas de pétrole, mais on a des idées ». Illustration début janvier à Florence, lors du Pitti Uomo, le salon de prêt-à-porter masculin ouvrant la saison des fashion weeks et disant la santé du secteur. Avec sa marque Setchu, Satoshi Kuwata ? déjà repéré par Le Point lorsqu'il avait choisi la bibliothèque de la cité des Médicis pour son premier défilé, a démontré que sans dépenser des millions, on pouvait créer une intention et un moment de mode.

À LIRE AUSSI Comment le luxe veut reconquérir la ChineEntre hommage à Savile Row, clins d'?il à sa passion pour la pêche, jeux de genres et exposition dévoilant les méandres de son cerveau, fourmillant de références détournées du roman Le Dit du Genji, de dentelles viriles, via planches et estampes. « I want less and less than that », déclarait-il avec le sourire.

Dans la tête de Satoshi Kuwata, il y a des instruments de pêche, exposés à Florence. © GD

Le vrai luxe ? Conclure par un dîner intime, aux influences italiennes et nipponnes, chez Silvia et Raffaello Napoleone, le délégué général du Pitti, qui pour la première fois ouvrait les portes de leur maison, imaginée par l'architecte de la gare moderniste de la ville ? une esthétique de la rencontre au c?ur du propos du créateur. Il fallait en voir l'idée et la travailler en détail sans avoir l'air d'y toucher pour arriver à l'épure. C'est cela l'essence du chic.

Le grand soir viscontien de Dolce&Gabbana © GD

Un show Dolce & Gabbana, cela peut être de la joie pure, un truc fou qui transporte d'allégresse : logique, Domenico Dolce et Stefano Gabbana sont maîtres chez eux. Alors, moins d'une semaine après avoir inauguré leur exposition au Grand Palais, ils peuvent décider de jouer avec leur propre esthétique, leurs propres clichés et leurs propres icônes à Milan.

À LIRE AUSSI Marseille, l'autre capitale de la modeCela en faisant défiler sur le tapis rouge, au milieu d'une haie de faux paparazzis, mais en vrai Dolce & Gabbana, comme un best of de leur créativité et de leur savoir-faire. Du grand soir toujours un rien viscontien, au jour, jouant le confort dans l'amplitude des pantalons de costumes à chevrons, osant même l'outerwear chic ? avec les plus beaux cargo pants vus depuis longtemps ?, on a envie de partir marcher dans les Dolomites. Ou de parader un rien crâneur. C'est ça, la Dolce Vita version 2025?

Des souvenirs d'Emporio et d'Armani

Giorgio Armani et ses modèles lors du show Emporio Armani. © DR

Parfois, lorsque j'étais adolescent, mon père décidait d'un aller-retour à Milan pour la journée du samedi. Une sorte de récompense car le but de cet assassinat en règle de la notion même d'empreinte carbone ? à dire vrai peu répandue dans les années 1980 ? était une « descente » chez Emporio Armani, toute nouvelle marque créée par Giorgio Armani.

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Je me souviens de ces velours, de ces mailles aux kakis militaires, du logo ailé de la griffe? La joie et l'excitation de ces moments sont revenues lors du défilé Emporio Armani du 18 décembre : soudain, j'entrais de nouveau en connivence avec cette décontraction sophistiquée, la chaleur de la palette mordorée, le confort assumé de la silhouette, bref tout ce qui fait que, soudain, un vêtement dit plus que ce qu'il est, et permet soudain d'envisager d'avoir une allure.

Quand Prada joue avec les clichés, c'est du très bon Prada. © GD

Un défilé Prada, c'est toujours un palimpseste. Un palimpseste des défilés précédents. Ici, la structure brute, presque une signature du studio de Rem Koolhaas ; là, la richesse et les motifs du tapis, écho à l'un de mes shows préférés ? Il Palazzo, en janvier 2012. Le palimpseste ne se contente pas de créer une tension, ici amplifiée par la bande-son organique avant le show et les accents symphoniques de Puccini et Nyman pendant.

À LIRE AUSSI De Valentino à Hermès, via Duran Lantink, le goût des jolies chosesCela a du sens : d'où le retour de pièces signatures comme ce pyjama en coton blanc ; d'où l'audace des mélanges de couleurs ? ce rose presque « cuisse de nymphe » ? et de motifs ; d'où la perfection des manteaux impeccablement taillés et des cols en fausse fourrure ? un mélange d'aristocratie et de sauvagerie ; d'où ce twist sur l'Americana ? franges, velours et bottes. Poésie et intelligence : la martingale gagnante de Miuccia Prada et Raf Simons s'affiche déjà comme une collection de best-sellers.

Danser chez Brioni

Quand on danse chez Brioni. © GD

Parfois, la mode connaît des petits moments de grâce : en décidant de ne pas défiler mais de présenter sa collection en la pimentant de quelques pas de danse sous les ors d'un palais du Corso Venezia, le tailleur italien Brioni a participé de cette esthétique de la fugacité ? bien pensé, cela a souligné la légèreté des vêtements et leur tombé.

Sur le moodboard de Dunhill, William de Gloucester © GD

C'est l'autre William, le Windsor oublié : William de Gloucester. Curieusement présent sur le moodboard de Simon Holloway, directeur artistique de Dunhill, alors que c'est le souvenir du duc de Windsor, oncle de William, qui a inspiré la collection. Mais le jeune prince, mort à 30 ans dans un accident d'avion, incarne à lui seul la fin d'une époque ? qui résonne avec Evelyn Waugh et Cecil Beaton ? et l'idéal d'une certaine beauté masculine juvénile, fragile, mais forte.

À LIRE AUSSI De Saint Laurent à Dior, Paris aime l'éclat de l'orUne masculinité sans excès de testostérone, une figure d'élégance naturelle ? il savait porter une chemise blanche comme personne. Cousin germain de la reine Elizabeth II, il était proche de son cousin au second degré, Charles, alors prince de Galles. La légende raconte que Charles aurait nommé son premier fils William, aujourd'hui prince de Galles, en hommage à ce cousin disparu. Étrange et émouvant de revoir à Milan cette image du prince presque parfait ? il vivait une liaison secrète que sa famille désapprouvait. Une certaine idée du chic.

2025-01-20T12:08:38Z