La télé n'a jamais autant fait fonctionner sa machine à recycler. Tous les programmes ou presque sont concernés. Après les séries, dont les remakes et autres reboots ont inondé le petit écran (Un gars, une fille(au pluriel), Caméra Café 20 ans après?), ce sont désormais les émissions de divertissements et les jeux qui se voient offrir une seconde vie.
La première vague nostalgique a déferlé il y a cinq ans avec le retour de Pékin Express, La Carte au trésor, Le Grand Échiquier. Elle a grossi depuis 2021 avec le come-back du jeu La Famille en or sur TF1. Quant à la Star Academy, elle a aussi rouvert ses portes l'an dernier sur la Une, avec un tel succès qu'elle a accueilli une nouvelle promotion depuis le 4 novembre dernier. C8 a, quant à elle, ressorti du grenier Il n'y a que la vérité qui compte et son célèbre rideau sous les yeux de 1,2 million de téléspectateurs.
Les diffuseurs n'ont pas fini de s'engouffrer dans cette brèche spatiotemporelle payante en termes d'audiences. TF1 a annoncé officiellement le retour prochain du programme de téléréalité Secret Story qui a duré dix saisons, tandis que le groupe M6, qui se refuse à confirmer, loucherait sur deux des anciennes « pépites » de sa concurrente, à savoir le jeu Le Maillon faible et L'Île de la tentation. La rumeur évoque même un éventuel retour sur France 2 de Panique dans l'oreillette, l'émission dans laquelle Frédéric Lopez posait à un invité célèbre des questions qui lui étaient soufflées dans l'oreillette par les proches de cette dernière !
L'appétence des chaînes pour ces émissions vintage est d'abord liée au climat géopolitique et économique anxiogène : « Quand le présent ou l'avenir est incertain, on est tous rassurés par quelque chose que l'on connaît, qu'on a aimé et que l'on sait décoder, analyse Rémi Faure, le directeur des programmes de flux de TF1. Il y a une recherche de valeurs refuge, qui sécurisent. » Et qui apportent un souffle bienvenu de fantaisie? « On est sur la nostalgie du fun et de la légèreté des années 2000 », confirme Jean-Louis Blot, le président d'Endemol France, qui produit, entre autres, Star Academy et Secret Story.
La résurgence de ces madeleines de Proust cathodiques trouve aussi des explications structurelles. La première concerne le manque de nouveautés auquel les diffuseurs traditionnels doivent faire face. Car « les créateurs sont plus concentrés aujourd'hui sur ce qu'ils peuvent faire sur les plateformes et les réseaux sociaux », estime le producteur. La télé linéaire puise donc dans ses propres archives : « Dans un marché où l'offre est pléthorique, les marques fortes prennent plus de valeur car ce sont des repères », précise Rémi Faure. Des repères qui sont assurés de bénéficier de par leur notoriété d'une couverture médiatique efficace à moindres frais.
Autre atout de ces doudous télévisuels, leur efficacité et leur fort potentiel digital, propre à séduire les jeunes très présents sur les réseaux sociaux. C'est notamment le cas de Star Academy et de Secret Story, qui se déroulent en direct : « Aujourd'hui, il est plus facile de consommer en direct avec le streaming. On peut aussi commenter et partager ces programmes TikTok, Instagram, etc. Enfin, ces programmes fournissent du contenu régulier pour les chaînes avec des émissions quotidiennes et du prime time. C'est un carton plein », développe Jean-Louis Blot. Et Rémi Faure de résumer : « Star Academy et Secret Story sont, par leurs concepts, leur construction et leur promesse, totalement adaptés à l'exposition multimédia, ce qui est en phase avec notre stratégie groupe. » Reste à les moderniser pour coller à l'air du temps?
Ces marques cultes ne se contentent pas d'aller draguer la génération Z. Elles attirent aussi un public plus âgé, qui s'est enthousiasmé pour leurs premières éditions. Ces vingtenaires d'hier sont devenus les quadras et quinquas d'aujourd'hui, parmi lesquels la fameuse Française responsable des achats (FRDA), si prisée des annonceurs. Une aubaine à ne pas négliger !
À LIRE AUSSI Les jeunes privilégient la télévision pour s'informer, selon une étudeCerise sur la facture, ces formats se révèlent intéressants d'un point de vue économique. Car s'ils nécessitent un investissement de départ important (matériel, décors?), celui-ci est rapidement rentabilisé : « On fabrique une dizaine d'heures de contenus par jour. Au final, cela coûte beaucoup moins cher que d'autres programmes », explique le producteur.
Comment « réinventer », selon le terme désormais consacré, ces émissions vieilles de plus de vingt ans ? Principalement en payant son dû aux nouveaux totems de la télé, à savoir la bienveillance et l'authenticité. Cela passe d'abord par le casting. Les bimbos, (faux)-rebelles et autres amateurs de clashs peuvent aller se rhabiller, remplacés par des candidats sinon policés, du moins très (trop !) appliqués : « Le casting doit être générationnel, ancré dans l'époque, commente Rémi Faure. Le but, c'est d'avoir une représentation positive de cette génération, pas de cliver ou de diviser. On cherche des jeunes animés de valeurs exemplaires. »
Finies les interventions de la production ou de la chaîne pour créer des rebondissements goût piment : « On ne veut pas mécaniser ou scénariser les contenus. On raconte l'histoire telle qu'elle se passe », jure-t-il à propos de Star Academy. Jean-Louis Blot abonde : « Les grosses ficelles d'il y a vingt ans ne peuvent plus être utilisées aujourd'hui. La société a besoin de plus de transparence. Les réseaux sociaux sont une caisse de résonance à son éventuelle absence. On ne peut pas se permettre de ne pas être transparents dans le château. »
Quid de Secret Story, dont la célèbre Voix présidait aux destinées des candidats et les orientait sur le chemin du buzz ? « On va en faire un jeu interactif où les participants mèneront l'enquête. Ce ne sera pas une course à la popularité », assure Rémi Faure. Dont acte !
Avec ces émissions remises au goût du jour, les chaînes semblent avoir trouvé leur martingale. Pas question pour autant de les multiplier, selon le directeur des programmes des flux de TF1 : « Il n'y a pas de systématisme. Ce n'est pas une fin en soi, affirme-t-il. Si l'on pense que l'efficacité d'une marque ou d'un programme réside dans son côté sulfureux, on ne le ressuscite pas. Ce ne sont pas des valeurs que l'on a envie d'avoir aujourd'hui à l'antenne. » Rémi Faure préfère se concentrer sur des projets plus TF1 compatibles comme Star à domicile, qui s'est brièvement réinstallée sur la chaîne en février 2022. Et qui pourrait revenir. Quant à Jean-Louis Blot, il réfléchit au retour de La Fureur ou de Loft Story « qui a marqué l'histoire de la télévision française. Il y a quelque chose à réinventer » est-il persuadé.
À LIRE AUSSI De « Loft Story » aux « Marseillais », 20 ans qui ont bouleversé la téléM6, qui a lancé ce programme il y a plus de vingt ans, lançant ainsi la vague de la téléréalité, sera-t-elle tentée ? Canal+ ou France Télévisions se lanceront-elles plutôt dans l'aventure ? Aucune hypothèse n'est à exclure, tant les chaînes sont aujourd'hui friandes de ces concepts d'antan. Quitte à prêter le flanc à la critique face à Netflix, Amazon et consorts, réputées plus innovantes : « Notre offre de flux est un mélange de nouvelles émissions et de formats réinventés. C'est un équilibre, justifie Rémi Faure, s'autorisant même un satisfecit concernant ces derniers : « Si le public, et notamment le public jeune, est au rendez-vous, c'est qu'on a raison de le faire ! » Difficile de le contredire.
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